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La traversée de l'Atlantique

  • Photo du rédacteur: Globe Tortue
    Globe Tortue
  • 19 janv. 2022
  • 10 min de lecture
Nous y voilà, enfin, au départ de cette traversée tant attendue. Une traversée de 2 500 milles nautiques, 4 630 kilomètres, avec pour seul moteur le vent : notre allié et notre contrainte. Quatre fuseaux horaires à passer-et le soleil à rattraper. Vingt jours depuis la ville de Banjul, en Gambie, Afrique subsaharienne, jusqu'à Charlottesville, à Tobago, dans le sud des Antilles. Vingt jours avec la mer pour horizon et pour berceau. L'Atlantique nous attend !


J'ai laissé brute ma prise de notes pendant cette transatlantique. Bien sûr, l'écriture m'a servi d'exutoire, donc j'ai plus souvent écrit les mauvais moments que les bons, mais je pense que c'est globalement assez représentatif de mon mental pendant la traversée. J'ai vraiment appris à apprécier la transatlantique en cours de route et sur les derniers jours.



8, 9 et 10 décembre

Je n'ai rien écrit les trois premiers jours. Si j'écris ces mots rétrospectivement c'est parce que je n'avais pas la force d'écrire durant ces premiers jours de mer. La mer, justement, consistait en une houle de côté fluctuante et hachée qui a rapidement mis à mal mon estomac, et s'ensuivit tout mon être. Je mangeais du bout des lèvres et passait mon temps allongée, presque en PLS toute la journée. Pas très marrant !


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Francis et Mathieu ont installé le régulateur d'allure avant de partir, cela nous permet de ne pas utiliser le pilote automatique qui prend beaucoup de batterie.


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11 décembre

Jour 4

La mer est toujours déchiquetée On avance bien Je passe mes journées à dormir Meme prendre une douche ne fait pas du bien tellement c'est coûteux en efforts Le bruit des vagues est si fort que j'ai mis des boules quies Je peux même pas écouter de musique Ce matin poisson volant échoué sur le pont encore, cette fois je l'ai remis à l'eau avec l'ecope pas question d'empuantir mes mains Francis demande s'il peut mettre les lignes Rien que de penser à l'odeur du poisson et au sang partout à nettoyer j'ai la nausée Hier on a cru que l'AIS marchait plus mais en fait c'est bon Je dors par episodes dans le carré, impossible avec le roulis de trouver une position confortable, Comme je passe la journée allongée et que je dors mal j'ai mal à la nuque, au dos, aux épaules Alors je reste debout dans le cockpit pour détendre un peu tout ça Mais j'ai quand même pas la foi de faire des abdos ou du gainage Je mange pas grand chose ce qui contribue al a fatigue générale Je deviens exigeante sur ce que j'ai envie de manger Le riz blanc nature, les olives ça passe Même le maïs et les tomates ne me font pas envie Je deviens trop sensible Ma facilité à me réciter l'alphabet phonétique international dans ma tête m'aide à me situer niveau mal de mer, quand j'y arrive difficilement c'est que j'atteins un stade de confusion important du au mal de mer Des fois la nuit j'ai peur, dans la confusion entre deux rêves les coups de bélier des vagues sur la coque me font craindre la traversée 3e jour seulement, j'espère que le mal de mer va se calmer sinon la traversée va être longue.. J'ai pas eu le courage de faire une lessive du coup j'ai essayé de laver mes vêtements en même temps que la douche mais je crois que c'est pire Je suis tout le temps moite, et je me sens sale J'ai du mal à retrouver le plaisir d'être là mais je me dis que ça ira mieux dimanche Francis a dit que la houle serait plus supportable Le seul truc qui me remonte le moral c'est de voir les poissons volants qui s'éclatent à faire des ricochets avec les vagues Au coucher du soleil un fou de bassan vient jouer avec le bateau

12 décembre

Jour 5

Ca va un peu mieux niveau mal de mer Au dernier quart je me sentais princesse des mers, tant ça allait mieux, forte et fière d'être sur l'océan J'ai lu aujourd'hui j'ai fini le bouquin de Isabelle Autissier sur le Grand Sud, ça m'a valu un peu de temps de récupération mal de mer mais bon J'ai fait un jus d'orange ce matin avec du jus de citron acheté en Gambie Trop citronné mais bon On a vu des dauphins !

13 décembre


J'arrête de compter les jours

J'ai appris le morse, et mon numéro de sécurité sociale par cœur. Ces petits exercices mentaux m'occupent. J'aime bien préparer à manger ça m'occupe l'esprit et me détache du mal de mer. Je ne fais pas grand chose juste une salade de tomate avec du mais et des olives, un milkshake à la banane pour utiliser les bananes trop mûres, une salade de fruit pour utiliser les bananes et les clémentines qui commencent à moisir, un jus d'orange pour utiliser les oranges et le jus de citron acheté en Gambie.. Bref ça m'occupe.

14 décembre

Je me suis lavée les cheveux aujourd'hui ce qui m'a fait le plus grand bien. Pas encore le courage de me faire plein de petites nattes ce qui est pourtant le plus pratique en navigation.

15 décembre

00h30 Entre mal de mer et accalmie dans le mal de mer, les journées se ressemblent. J'ai commencé le livre de Michelle Obama. Je réfléchis sur ce que je veux faire de ma vie. 10h J'en ai marre, ras le bol d'avoir mal au crâne en me levant, d'avoir la nausée et de me sentir faible, d'avoir des vertiges quand je me lève et l'impression que chaque pas est une épreuve. Chaque effort est une épreuve. Je meurs d'envie de me doucher mais c'est trop d'efforts : il faut que je fasse une lessive mais c'est trop d'effort : écrire c'est déjà trop d'efforts. Parler c'est trop d'efforts. Mais rester allongé toute la journée sans rien faire c'est insupportable. À cause du mal de crâne je peux même pas écouter de musique. Ma seule distraction c'est de grignoter des amandes ou des biscottes. Les jours passent à une lenteur exaspérante. 22h Je ne sais pas si je m'enhardis contre le mal de mer ou si je m'y habitue, toujours est-il que je lis, je redécouvre le plaisir de lire et l'évasion que la lecture m'apporte. Je dévore le livre de Michelle Obama, et avant de l'avoir fini, relis un livre d'enfance, le tome 1 des Orphelins Baudelaire, commence Le rouge et le Noir de Stendhal, Courrier Sud d'Exupery, et le Bug Humain, réveillant ma boulimie de livre d'antan qui me faisait avoir toujours deux trois romans en cours sur ma table de chevet. Même si j'accuse le coup de ma lecture par un effet retors du mal de mer, qui s'apaise quand je lis pour revenir deux fois plus fort en boomerang quand j'arrête, cela ne m'empêche pas de lire. Je n'ai pas encore le courage d'écrire la nouvelle que je veux écrire, car c'est sûrement ce qui me demande le plus d'énergie, mais j'y pense. J'ai fait une lessive aujourd'hui. Ça ne sèche pas bien mais c'est pas grave. Ça fait plaisir de poser la tête sur une taie d'oreiller un peu plus propre. Presque propre, car économie d'eau oblige, je ne fais pas autant de rinçages qu'il faudrait. On s'est décidés officiellement pour la Martinique aujourd'hui au lieu de Tobago. Pour passer le nouvel an là-bas. On est partis depuis 7 jours. On est presque au milieu de l'atlantique. 12°56'16.4"N 34°52'10.5"W C'est rassurant de voir le GPS du téléphone indiquer notre position exacte sur le globe en temps réel. On ne se rend pas compte qu'on est au milieu de l'atlantique, avec 4 000 mètres de fond sous la coque du bateau. On pourrait tout aussi bien être au milieu d'un très grand lac agité. Je me sens mieux le soir que le matin en ce moment, alors qu'au début c'était l'inverse. On a même mangé du cassoulet ce soir, ce qui m'aurait paru impensable les trois premiers jours. Les bruits pendant le quart de nuit dans le carré sont impressionnants de leur volume sonore et de leur éclectisme. Les voiles font un grand fracas quand, soulevé par une vague, le bateau retombe lourdement sur son flanc et les fait battre. Cela entraîne aussi en général le toc sonore de divers éléments de la cuisine, comme les assiettes ou les verres, contre le bois des placards. Le plancher grimace à l'intérieur, sous les contraintes de la gîte. Les écoutes de génois, et cordes diverses qui attachent son tangon, sont autant de raclements sur le pont, comme décidées à scier tout ce qu'elles touchent. L'écoute de grand voile, elle, grince sous la bôme quand le vent la tiraille, un grincement pareil à ceux des bouts qui guident la barre à roue, maintenue par le régulateur d'allure. Dans le mat, des bruits sourds retentissent parfois, choc des drisses à la faveur d'un coup de vent. La pompe du circuit d'eau gronde aléatoirement dans la nuit. Et un concert d'autres chocs, sourds ou clairs, de grincements et de vibrations accompagnent le tout sans que je puisse en identifier les origines. Et tout cela n'est que le son propre au voilier. Au dehors, ruisselle l'eau que le navire charrie dans son sillage, aussi bruyante que lui, voire plus lorsque l'on passe le nez dehors. Dans les cabines arrières, on l'entend glisser sous la coque, et son bruit crée des murmures et des chuchotis parfois saisissants de réalité dans l'obscurité et la confusion de celui qui cherche à s'endormir. Les vagues donnent des coups de butoir sur la coque, ou sont-ce de gros poissons qui s'y cognent ? Le responsable de ce vacarme, qui en définitive est le vent, est paradoxalement le plus silencieux de tous. Depuis mon poste dans le carré, je ne l'entends que sourdement, un gémissement couvert par les gloussements de l'eau et les protestations du voilier. Il faut passer la tête dehors pour en sentir la fraîcheur et le chahut dans ses oreilles et dans les voiles.

16 décembre



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La mer est bleu foncé, presque noire ce matin, reflet des nuages gris porteurs de crachin qui se dirigent vers nous. Une toute fine pluie a rafraîchi Petite Terre avant de s'éloigner, remplacée par le soleil et un bout de ciel bleu qui ont rendu sa couleur à l'océan. 14h

13°07′08.98″N 35°53′50.59″W

17 décembre

Nuit Mathieu réveille Francis à son quart, la corde qui permet la prise du ris est sectionnée.

Journée Il pleut.

18 décembre

Nuit Au changement de quart entre Mathieu et moi, l'écoute du génois se sectionne au niveau du tangon. On ramasse plusieurs grains et le bateau part au lof, le pilote décroche.

Journée J'en ai marre qu'on ne me fasse pas assez confiance sur les manœuvres.

19 décembre

C'est marrant, ça fait trois jours qu'on a du mauvais temps (enfin, des nuages gris) sur bâbord et du beau temps sur tribord.


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La lune ce soir est bien jaune, elle se hisse à travers les nuages.


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À mon quart j'ai dû reprendre deux fois le pilote qui avait décroché, 35 nœuds de vent en moyenne sur 5 minutes. Je me suis explosé le genou dans la descente en remontant trop précipitamment. On n'a pas de glace alors je presse une compote sur mon genou, ce qui me soulage un peu. Les vagues sont impressionnantes en ce moment, véritables dunes d'eau mouvantes qui poussent le bateau sur l'arrière et lui font faire des pointes de vitesse à 13 nœuds.

20 décembre

Nouveau record pour Petite Terre : 173 miles parcourus sur les dernières 24h, ce qui fait une moyenne de 7,2 nœuds. C'est requinquant de voir que le bateau avance bien, même si on n'est qu'aux deux tiers du trajet et que j'ai l'impression que ça fait un mois qu'on a démarré la transatlantique. On voit quand même qu'on rattrape le soleil : je vais bientôt avoir le coucher de soleil pendant mon quart de la nuit et le lever de soleil pendant mon quart du matin ! J'ai fini Le Bug Humain aujourd'hui. C'est vraiment super intéressant et répond à une question fondamentale : pourquoi, alors que l'humain est une espèce intelligente et consciente, l'homme va-t-il à sa propre perte en détruisant la planète ? Qu'est ce qui nous empêche de nous rendre compte de la gravité du changement climatique ? L'auteur y répond en abordant la question selon le point de vue des neurosciences. Et donne quelques pistes pour y remédier sans pour autant revenir à l'âge de pierre ! Je mesure la chance que j'ai de pouvoir me poser et réfléchir à des questions fondamentales, à mon avenir professionnel et personnel, au sens que je veux donner à ma vie : quand on travaille, dans la routine, on n'a pas le temps pour ça. Ou en tout cas, on ne prend pas le temps. La lune fait comme un projecteur en pleine nuit, c'est impressionnant.

21 décembre

Record battu 182 miles en 24h ! Je trouve aujourd'hui le courage de faire mes neuf tresses sur mon crâne. J'ai commencé Anna Karénine hier et cela m'a redonne envie d'écrire ma nouvelle sur Anna Ivanovna, même si l'histoire d'anna Karénine se passe au 19e et celle d'Ivanovna au début du 18e.

22 décembre

Vu un arc en ciel

23 décembre

On sent la fin qui se rapproche doucement, 350 milles encore mais sur les 2700 au départ c'est une bagatelle. Il faut saisir ce moment hors du temps, où la nuit et le jour n'ont plus que des sens confus. L'esprit s'évade du bateau de papier, soit dans les pages des livres, soit à l'orée de sa conscience, pris dans une bulle de musique. Les astres tournent, les vagues tanguent, le temps danse, tout donne le tournis et surtout la beauté du ciel vespéral aux mille clins d'œil. La mélancolie s'invite parfois, entre la fatigue et le vent, puis elle s'échappe, bousculée par l'émerveillement et le sentiment de puissance à défier ainsi l'Océan.

24 décembre

C'est marrant parce que j'ai vraiment l'impression qu'on a fait un bond en avant sur la fin. Nous arrivons dans deux jours à peine, ça va arriver vite. Au début du trajet le temps paraissait si long ! Ce soir pour le réveillon de Noël, petit apéro avec chips aux truffes et saucisson, puis omelette aux champignons, petit salé aux lentilles, et en dessert petit far breton. C'est plutôt pas mal après 16 jours en mer !



25 décembre

Nous arrivons à la dernière journée de la transatlantique. Il fait beau, grand ciel bleu, le vent est clément, les vagues sont sages. Que des raisons d'avoir le sourire ! Étonnamment, on ne croise toujours pas de bateaux.

13h30 : Premier indice qu'on se rapproche : l'AIS capte une balise côtière de Martinique.



14h : Terre en vue! Encore trop loin pour être visible en photo

15h : On capte la radio locale


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15h15 : mon téléphone change d'heure, il capte le réseau 15h20 : réception du bulletin météo de la Martinique


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16h36 : réception du SMS red by sfr signifiant que je capte le réseau

16h48 : l'ancre qui nous accroche dans la baie de Sainte Anne, au mouillage, est au fond des eaux turquoises de la Martinique. Ça y est !


Total : 2621 milles parcourus. À l'arrivée, Francis nous sert le champagne !



Ça y est, la traversée de l'Atlantique, c'est fait... 🌍 Après 18 jours sur l'océan à bord de Petite Terre, nous reposons les pieds sur la terre ferme. La Martinique nous offre son ciel bleu, ses plages et sa nature verdoyante. 😃🌴 Prochaine étape : rejoindre Panama !

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